Métaphores

Terres inconnues

Sybille Rembard

Aux frontières de la folie
le cerveau déploie ses facultés
tatouages étranges
âme daltonienne
ironie du présent
fable inquiétante

Je regarde le monde avec les yeux d’un séraphin
les couleurs se mélangent
se blessent
Je régurgite la douleur
de mes aïeux

J’erre parmi les autres en sursis
une fine pluie dorée
tombe sur mes rêves

je suis le gouffre du monde sans fin

Sybille Rembard

Randonneuse

Edgar Georges

Apprendre à descendre vite
la vie est faite de montagnes
de chutes inattendues, de cascades infinies
de paysages verticaux sublimes, de couchers de soleils eternels

Ne jamais s’arrêter
Ne jamais s’arrêter même au creux de la vallée
où le chemin se rétrécit sans cesse
et les sommets s’écroulent, sans fondations

S’essouffler, crier détresse

Je me réveille les jambes lourdes
je fixe l’horizon
je prends ma bouteille d’eau et la jette contre le rocher
je regarde pendant des heures chaque goutte descendre

Je rentre par la forêt
le rêve peut recommencer
sans qu’elle puisse me voir
sans qu’elle puisse me parler

Edgar Georges, 2001

Condition Humaine

Olivier ARON

 

Je rêve aux étoiles,

Les bras tendus vers le ciel,

Au corps nu des nymphes,

Alangui sur le sable.

Je rêve à l'océan,

Au bleu de tes yeux,

À la mire azur,

Et ces fruits gorgés de soleil,

Que tu portes à ta bouche.

Je rêve les enfants,

Aux éclats de rires,

Aux mères douces,

À la peau de satin,

Séchant des larmes éphémères,

De sel et de joie.

Et mes paupières se soulèvent,

D'un rugissement,

Du monde qui gronde et tempête.

Et j'entends la complainte,

Des âmes damnées de la terre,

Que je fouille de mes ongles de sang,

Rongeant jusqu'à mourir,

Le sol hideux et ses oripeaux.

Et je t'aime enfin,

Toi mon enfant,

Et tes yeux qui brillent de mille feux au firmament.

Olivier Aron (mars 2012)

Les corbeaux

Nérée Beauchemin

Les noirs corbeaux au noir plumage,
Que chassa le vent automnal,
Revenus de leur long voyage,
Croassent dans le ciel vernal.

Les taillis, les buissons moroses
Attendent leurs joyeux oiseaux :
Mais, au lieu des gais virtuoses,
Arrivent premiers les corbeaux.

Pour charmer le bois qui s’ennuie,
Ces dilettantes sans rival,
Ce soir, par la neige et la pluie,
Donneront un grand festival.

Les rêveurs, dont l’extase est brève,
Attendent des vols d’oiseaux d’or ;
Mais, au lieu des oiseaux du rêve,
Arrive le sombre condor.

Mars pleure avant de nous sourire.
La grêle tombe en plein été.
L’homme, né pour les deuils, soupire
Et pleure avant d’avoir chanté.

Nérée Beauchemin, Les floraisons matutinales

Le cœur d’une femme

Jacques Viallebesset

Je ne veux pas pour toi les déchirures des ronces
Ni les étangs glauques des illusions ou l’on s’enfonce
Efface de ton âme les noirs tourbillons
Une étoile flamboie au milieu de ton front

Abandonne les cauchemars au fond de leur nuit
L’amertume blême de la tristesse est un désert
Je veux un ciel clair et des poitrines au cœur chantant
Des poumons vibrant comme des arbres en plein vent

Je ne veux pas pour toi l’ombre portée de la souffrance
Sur le pur visage embué de ton enfance
Arraches de toi les barreaux de la cage
Le fardeau de douleur est un trop lourd bagage

La vie est là qui frémit et palpite dans là sève
Chaude vie plus forte que les illusions
Une vie jamais vécue voilà ce que je veux
Où les oiseaux viennent chanter dans tes cheveux

Je ne veux pas pour toi l’étendue du dérisoire
Ni les lèvres murées par tant de pierres noires
Tu as trop arpenté déjà les labyrinthes du malheur
Pour qu’enfin ton cœur soit parsemé de fleurs.

Jacques Viallebesset, l’écorce des cœurs, 2011 (copyright © le nouvel athanor)

La Fontaine de sang

Charles Baudelaire

Il me semble parfois que mon sang coule à flots,
Ainsi qu’une fontaine aux rhythmiques sanglots.
Je l’entends bien qui coule avec un long murmure,
Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure.

À travers la cité, comme dans un champ clos,
Il s’en va, transformant les pavés en îlots,
Désaltérant la soif de chaque créature,
Et partout colorant en rouge la nature.

J’ai demandé souvent à des vins captieux
D’endormir pour un jour la terreur qui me mine ;
Le vin rend l’œil plus clair et l’oreille plus fine !

J’ai cherché dans l’amour un sommeil oublieux ;
Mais l’amour n’est pour moi qu’un matelas d’aiguilles
Fait pour donner à boire à ces cruelles filles !

Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1861

La fin des mots

Nashmia Noormohamed

Il arrive qu’un couple sombre, comme un bateau pris dans la tourmente, que l’orage soit si violent que le navire malmené, prenne l’eau, que les voiles tendues, que l’équipage aurait omis de régler, se détachent et que la coque se brise.

La passion des premiers jours passée, la réalité nouvelle de la vie à deux, la possession de l’autre, le don de soi, les mots doux qui cimentent cette idylle rêvée, le nid d’amour se construit, peu à peu, brin par brin.

Il arrive que la source se tarisse, que le flot, un temps puissant et généreux, faiblisse, que le lit de la rivière s’assèche et laisse pousser de nouvelles espèces, faute d’eau; que ces deux forces, un temps complémentaires, s’ignorent longtemps.

L’amour se transforme, au gré de la vie et de ses changements, il se teinte de mille nouvelles couleurs, il se renouvelle face aux obstacles, il grandit à l’ombre des arbres centenaires; à l’abri, il s’exprime et se renforce.

Il arrive que les mots se perdent, que le couple en soit réduit à parler de toutes les
tracasseries des jours monotones, en s’y limitant, faute de temps; au lieu de trouver les mots justes pour s’aimer et se respecter au quotidien, il se chamaille, se querelle et se perd.

On en vient à cette saison qu’on nomme la fin des mots, cette saison où le verbe est limité à des ordres, des injonctions, des instructions, des reproches.

Qu’en est-il de la poésie, des mots pleins de tendresse et de désir, des messages pleins de bienveillance ? Qu’en est-il du langage du coeur, cette langue sans mots, qui s’exprime par des regards complices, des sourires admiratifs et des tendres caresses ? Quelle saison succède à la fin des mots?

Nashmia Noormohamed, 2016

L’insecte frivole

Didier Sicchia

Sylphide créature aux allants mécaniques,
La demoiselle s’abandonne aux migrations
Pour l’azur meilleur et dans sa folle ascension
L’insolente poursuit son envolée oblique.

Quel est donc cet orfèvre des arts métalliques
Qui te vêt des tourmalines attributions ?
Diaphanes élytres sous les hélianthes scions
– Ton enveloppe flamboie de feux organiques.

La libellule, ma passionnelle bestiole
Sait consoler dûment mes peines vitrioles.

Les ondines lui préfèrent les papillons
Aux alentours de mes pénibles marécages.
Diaphanes élytres sous les hélianthes scions,
L’insecte frivole enflamme mes paysages.

Didier Sicchia, La rhétorique de l’ineffable, 2010

L’angoisse

Paul Verlaine

Nature, rien de toi ne m’émeut, ni les champs
Nourriciers, ni l’écho vermeil des pastorales
Siciliennes, ni les pompes aurorales,
Ni la solennité dolente des couchants.

Je ris de l’Art, je ris de l’Homme aussi, des chants,
Des vers, des temples grecs et des tours en spirales
Qu’étirent dans le ciel vide les cathédrales,
Et je vois du même oeil les bons et les méchants.

Je ne crois pas en Dieu, j’abjure et je renie
Toute pensée, et quant à la vieille ironie,
L’Amour, je voudrais bien qu’on ne m’en parlât plus.

Lasse de vivre, ayant peur de mourir, pareille
Au brick perdu jouet du flux et du reflux,
Mon âme pour d’affreux naufrages appareille.

Paul Verlaine, Poèmes saturniens

Je ne peux rien retenir

Cécile Sauvage

Je ne peux rien retenir,
Ni la lune ni la brise,
Ni la couleur rose et grise
D’un étang plein de dormir ;
Ni l’amitié ni ma vie,
Ombre fuyante et pâlie
Dont je perds le souvenir.

Cécile Sauvage, Fumées

Au Féminin

Esther Granek

Vais-je traîner toute ma vie
en moi cette sorte de litanie
qui ne me laisse point de repos
et met ma conscience en morceaux ?

Car voyez-vous, quoi que je fasse,
toujours quelque chose me tracasse
et mes actes les plus louables
au fond de moi me crient : coupable !

Coupable je suis, sachez-le.
Comment, pourquoi importent peu
car mes réponses mille fois reprises
sans fin en moi se contredisent.

Coupable je suis de telle sorte
qu’à y penser toute chose me porte
et mes regrets sempiternels
me sont punition éternelle.

Ainsi donc, n’ayant nulle paix,
de moi-même faisant le portrait,
je rumine l’énumération
de mes actions et inactions…

J’adore me prélasser au lit,
lisant, me cultivant l’esprit.
Mais le remords, comme un démon,
sitôt m’insuffle son poison.

Alors je m’attèle à la tâche
et comme une brute, fais le ménage,
mais en même temps je me répète :
ma fille, tu seras toujours bête !

Je veux, ai-je raison ou tort ?
aussi m’occuper de mon corps
pour être épouse désirable
d’un effet quelque peu durable.

Mais dès qu’à mes soins je m’adonne,
une voix perfide me chantonne :
tu as raison, ne pense qu’à toi,
ils attendront pour le repas !

Alors, retrouvant mes casseroles,
échevelée et l’air d’une folle,
je me redis dans un sermon :
toujours seras-tu une souillon ?

Parfois, avide de détente,
je me complais à ce qui tente,
croyant voler quelques bonnes heures
au temps à consacrer ailleurs.

Mais au lieu de me réjouir,
je ne cherche qu’à troubler ma fête
car de mes cent tâches non faites,
je me punis comme à plaisir !

Ainsi donc, n’ayant nulle paix…
De moi-même faisant le procès…

Esther Granek, Ballades et réflexions à ma façon, 1978

Se pétrir d’un voyage

Maëlle Ranoux

Je me souviens de l’océan
Chaud et doux,
S’entêtant à me séduire,
S’allongeant sur mes rêves.

Face aux torrents agités, crissants, d’ici,
Je me souviens de la vie là-bas,
Légère,
Fluide comme une rivière,
Traversante,
Dans un horizon sans barrière.

Je me souviens aussi,
Du souvenir de vous,
Mes êtres demeures,
Comme des arbres absents,
Dont l’ombre fraîche manquait sur mes rives.

Je me souviens de l’océan.
Je me souviens de vous absents.

Je me souviens encore de ceux,
Là-bas,
Restés sous le soleil ardent,
Sur les rives de ma rivière absente.

*

Mais, quelle est cette mélodie ?

Oui, je la reconnais,
C’est la triste mélodie du départ
C’est la joyeuse mélodie de l’ailleurs

Elle me pose, elle m’apaise, elle m’étreint, elle m’appelle,
Elle porte mon chagrin, elle transporte mon espoir.

*

Vos lignes monotones
M’animent !

Vos chemins chauds
M’envolent !

Votre hiver glaçant
M’échauffe !

Votre été bouillant
M’exalte

Vos grises mines
M’amusent !
Vos âmes,
à moi me lient,
à moi m’attachent,
à vous m’attachent.

*

Maëlle Ranoux

Rêveur

Kamal Zerdoumi

Il tâtonne dans le monde
et se blesse aux rires
des pierres sur son chemin
Sa quête se heurte au labyrinthe
du destin
lui qui aimait courir au soleil
de la tendre nuit
ou battaient o miracle
deux coeurs
à l’unisson
On lui demande d’ouvrir les yeux
qu’il garde fermés
dans un rêve sans fin
où une Femme
toujours la même
le tient par la main
éternel instant
à l’abri des flammes
du réveil

Kamal Zerdoumi